domingo, 18 de setembro de 2011
Umberto Eco
Il a fallu juste une phrase du communiqué de presse des éditions Bompiani - disant qu’Umberto Eco allait réécrire le Nom de la rose afin de le rendre «plus accessible aux nouveaux lecteurs» - pour que naisse le buzz, et que l’on attribue au sémiologue italien le projet de lancer sur le marché une version allégée de son best-seller, destinée aux «jeunes lecteurs» démunis, à la «génération Internet» comme l’a écrit El País, rétifs aux références trop savantes ou aux citations en latin. Ce qui est vrai, c’est que Bompiani (qui sera suivi des autres éditeurs étrangers) publiera bien, probablement en octobre, une nouvelle édition «revue et corrigée» du roman, précédée d’une note de deux pages qui explique la nature des interventions : élimination de certaines répétitions, corrections de deux ou trois erreurs, explicitation de quelques citations latines.
Umberto Eco le précise dans l’interview ci-dessous, donnée au journaliste du quotidien la Repubblica, Maurizio Bono. Le Nom de la rose, dont est tiré le film de Jean-Jacques Annaud, est paru en 1980. Classé premier dans la liste des best-sellers du New York Times, il a reçu le prix Strega en 1982, a été vendu, rien qu’en Italie, à six millions et demi d’exemplaires, et traduit en quarante-sept langues.
Un bobard, donc, mais cette histoire de la réécriture, professeur, a quand même beaucoup circulé.
Qu’est-ce que je peux vous dire ? C’était l’été, et les journaux devaient bien écrire quelque chose, ne serait-ce que pour éviter que les lecteurs ne pensent qu’à la crise économique. Aux jeunes lecteurs, le livre doit plaire tel qu’il était et tel qu’il reste - autrement, qu’ils aillent se gratter : comme disait Benedetto Croce (1), le premier devoir des jeunes est de devenir vieux…
Pour paraphraser Guillaume de Baskerville, le personnage du Nom de la rose, on dira qu’on apprend aussi à partir des erreurs et des faussetés : cette crainte d’une «adaptation au temps présent» du roman semble exprimer le souci de ceux qui se sentent obsédés par le style Facebook et la civilisation des SMS…
Je crois qu’il s’agit de ceux qui ensuite écrivent de longs articles ennuyeux pour dire que les jeunes ne lisent plus - ce qui est faux. Ceux qui ne lisent plus, adultes compris, ce sont ceux qui ne lisaient pas davantage avant.
Cela fait penser à vos hommes du Moyen-Age, qui pleuraient sur les malheurs d’un «monde qui a les cheveux blancs» où «la jeunesse ne veut plus rien apprendre». Or, un communiqué de presse de votre maison d’édition disait que vous aviez ressenti le besoin de revoir le texte «pour le rendre plus accessible aux nouveaux lecteurs»…
C’est une expression curieuse qui voulait peut-être suggérer aux libraires qu’une nouvelle édition aurait attiré l’attention de nouveaux lecteurs (critère commercial valant cependant pour n’importe quel livre), mais qui certainement (au moins pour ceux qui croient qu’Omo lave vraiment plus blanc) a stimulé l’interprétation selon laquelle j’aurais fait une édition ad usum Delphini. Non, c’est toujours à l’usage des baleines. Ne serait-ce que parce que le communiqué, si je me souviens bien, disait correctement «il ne l’a pas réécrit, comme ont fait d’autres auteurs», ajoutant, me semble-t-il, que le livre faisait 550 pages. Il suffisait de faire comme a fait Massimo Gramellini de la Stampa : aller vérifier que l’édition précédente comptait dix-huit pages de moins pour lever le soupçon qu’il ne s’agissait pas d’une édition abrégée pour débiles. En voulant peaufiner, il faudrait en conclure que c’est une édition augmentée (mais je pense que la différence est due aux marges un peu plus larges, dont je ressentais le besoin).
Mais la chose pénible, au moins en termes d’éthique journalistique, c’est que, sur la base d’une demi-phrase d’un communiqué de presse, aient été écrits des articles excités ou indignés, par des gens qui n’avaient pas eu en main cette nouvelle édition - laquelle, au moment où on parle, n’existe pas. Chaque article naissait d’un article précédent, et tous ont eu la légèreté de parler d’un livre qu’ils n’avaient pas lu ni même vu. Comme disait Untel, c’est pire qu’un crime, c’est une erreur. Au vu de son article, le seul qui doit avoir donné un coup de téléphone à la maison d’édition ou s’être fait montrer les épreuves de façon à comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une réécriture mais d’une correction normale d’erreurs et d’imprécisions lexicales, est Paolo di Stefano, du Corriere della Sera. Au jour d’aujourd’hui, un journaliste qui remonte aux sources mérite le prix Pulitzer.
Comment cette nouvelle édition sera-t-elle-présentée ?
Dans le colophon (cette page aux petits caractères où figure le copyright), il y aura la mention : «édition revue et corrigée», comme c’est le cas dans de nombreux livres lorsque, après de nombreuses années, on fait une deuxième édition. Je suis intervenu avant tout sur certaines inexactitudes, j’ai éliminé la répétition de termes qui apparaissaient à quelques pages de distance, souvent je me suis soucié du rythme, parce qu’il suffisait d’ôter un adjectif ou d’enlever une incise pour rendre plus aérée toute une période. J’ai pratiqué à la manière d’un dentiste, quand - une fois posée la prothèse, et alors que le patient a l’impression d’avoir comme une masse dans la bouche - il passe un tout petit coup de roulette et fait en sorte que les dents s’encastrent à la perfection.La seule variante un peu substantielle se trouve dans la description du visage du bibliothécaire : je voulais faire disparaître une référence néogothique gênante.
Y avait-il des erreurs à corriger ?
Pas beaucoup, mais il y en avait. Depuis trente ans, je continuais à avoir honte du fait que j’avais trouvé la mention dans un herbier d’époque de la cicerbite (qui est une espèce de chicorée), et l’avais rangée parmi les cucurbita, en la faisant devenir une courge - alors que la courge nous est venue des Amériques. De même pour une mention des poivrons. Et puis je parlais d’un violon, alors qu’à l’époque, c’était une vielle, c’est-à-dire une sorte de viole. A un autre endroit, Adso dit avoir fait quelque chose en quelques secondes, alors qu’au Moyen Age la mesure temporelle de la seconde n’existait pas.
Et vous vous êtes décidé à ce «nettoyage» après trente ans?
Que voulez-vous, durant ces trente années j’ai écrit cinq autres romans, tandis que le Nom de la rose voyageait presque à son compte entre réimpressions et traductions, et que je n’arrivais pas à le suivre. Et il y a une chose qu’il faut dire : mes romans suivants reportaient des corrections à chaque réimpression, et cela parce qu’on commençait les traductions dès que le roman était sorti en italien. Or, il n’y a pas de lecteur plus sévère et entêté qu’un traducteur, qui doit peser mot après mot. Et les différents traducteurs se rendent compte que là il y a une contradiction, qu’ici tu as écrit nord au lieu de sud, qu’une phrase se prête à une double interprétation parce qu’il manque par exemple une virgule, et ainsi de suite. Lorsque ces remarques t’arrivent, souvent toutes en même temps, toi, à la première ou à la deuxième réimpression, tu fais les corrections appropriées.
Avec le Nom de la rose, les traductions sont au contraire arrivées très lentement, à des années d’intervalle, alors que les réimpressions italiennes se succédaient à grande vitesse. Il y a aussi le problème des répétitions, qui embêtent toujours l’auteur quand il se relit; aujourd’hui il suffit d’appuyer sur une touche de l’ordinateur, et l’on sait aussitôt combien de fois le même adjectif a été répété dans un texte de plus de 500 pages, alors qu’au temps du Nom de la rose, on tapait encore à la machine. Ce n’est que bien plus tard que j’ai pu disposer d’un texte numérisé et faire les vérifications dont je parlais.
Lorsqu’ils feuilletteront cette édition, les premiers lecteurs du Nom de la rose pourront donc ne même pas apercevoir de différences ?
A moins qu’ils ne soient des disciples de Gianfranco Contini et de la «critique des brouillons». Si quelqu’un voulait faire une thèse de doctorat en comparant les deux éditions mot à mot, il découvrirait que les cas les plus notables concernent certaines citations latines. Le latin était et demeure fondamental pour donner à l’histoire sa saveur «conventuelle», et attester que les renvois à des idées de l’époque sont corrects et authentiques. D’autre part, je voulais, et veux encore, soumettre mon lecteur à une certaine discipline pénitentielle. Toutefois, j’avais été gêné par le fait que des lecteurs m’aient fait savoir que pour telle ou telle citation, ils avaient été obligés de consulter un dictionnaire de latin. Moi, cela ne m’intéressait pas et ne m’intéresse pas que les citations soient comprises, surtout lorsqu’il s’agit de simples titres de livres : elles servent à donner l’impression d’éloignement historique. Mais je me suis aperçu que, dans certains cas, si on ne comprenait pas la citation, on ne comprenait pas bien non plus ce que je racontais.
L’éditeur allemand s’était senti en devoir de mettre en appendice un petit dictionnaire avec la traduction des phrases latines, et cela m’avait beaucoup embêté. Mon éditrice américaine, Helen Wolff, m’avait fait remarquer qu’un lecteur européen, même s’il n’a pas étudié le latin, avait en tête tant d’inscriptions lues sur les façades des palais ou des églises, avait entendu tant d’expressions, tantôt philosophiques, tantôt juridiques ou religieuses, qu’il pouvait ne pas être terrorisé par des mots tels que dominus ou legitur. Un lecteur américain, en revanche, aurait eu de plus sérieuses difficultés - comme si chez nous paraissaient un roman farci de longues citations en hongrois.
C’est pourquoi, avec mon traducteur Bill Weaver, on avait allégé certains passages en latin, en insérant par exemple une paraphrase de la partie la plus notable - ce faisant, j’avais dans l’esprit certains usages de ma région, qui font que, quand on parle en dialecte, on souligne les expressions les plus importantes en les répétant en italien. J’ai adopté le même critère pour cette édition italienne.Un exemple. A un certain moment, Guillaume cite Bacon, et dit : «Et de toutes ces connaissances, une science chrétienne devra se réemparer, les reprendre aux païens et aux infidèles tamquam ab iniustis possessoribus». La nouvelle édition dit : «Et de toutes ces connaissances, une science chrétienne devra se réemparer, elle devra les reprendre aux païens et aux infidèles tamquam ab iniustis possessoribus, comme si nous seuls, et pas eux, avions droit à ces trésors de vérité.»
Aucune réécriture en style SMS pour faciliter la lecture du livre à des lecteurs déprimés, donc ?
Ne dites pas des choses pareilles, car j’ai mal quand je ris. Dans la plupart des cas, ce sont des corrections que j’ai faites pour me faire plaisir, pour me faire sentir sur certains points plus à mon aise, stylistiquement, pour faire que le discours «coule» mieux, pour perfectionner certains rythmes - et non pour faciliter la lecture aux lecteurs déprimés. Le livre reste tel qu’il était - prêt à déprimer les futurs lecteurs. Je dois dire que l’expérience (me relire après tant de temps, faire un petit rafraîchissement ici et là, comme le fait le coiffeur après vous avoir déjà mis le miroir derrière la tête) m’a plu. A l’avenir, pendant mon temps libre, je ferai des éditions revues et corrigées de mes autres romans.
On a pu lire que les éditeurs étrangers auraient à retraduire le livre…
Il ne manquerait plus que cela. Dans certaines traductions, la moitié des inconvénients que j’ai éliminés dans le texte italien pourraient déjà avoir disparu. Pour le reste, j’enverrai aux anciens traducteurs la nouvelle version dans laquelle sont surlignés en rouge les mots ou les passages modifiés. En vue de la prochaine réimpression, en une demi-journée, il pourront remettre en place le texte - pour autant qu’ils estiment que leur version l’exige, naturellement.
(1) 1866-1952, philosophe, écrivain, fondateur du Parti libéral italien.
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