quarta-feira, 21 de maio de 2008


C’est à quel sujet ?
Valéry tel quel
Recueilli par Jean-Didier Wagneur

MICHEL JARRETY Paul Valéry Fayard, 1 366 pp., 52 euros.

Spécialiste de l’œuvre de Paul Valéry, Michel Jarrety livre la première véritable biographie de l’auteur de Monsieur Teste. Du salon de Mallarmé à la patiente rédaction des Cahiers,un écrivain considérable saisi dans son siècle et dans sa vie même.

«Un écrivain pour happy few ? Cette image de Valéry sans doute n’est pas fausse, mais elle n’est pas totalement vraie non plus : son œuvre est extrêmement diverse, et un jeune lecteur peut entrer sans difficulté, je crois, dans les poèmes en prose d’Alphabet ou de Poésie perdue, ou dans le dialogue de l’Idée fixe très bien interprété, récemment, par Bernard Murat et Pierre Arditi, un dialogue dans lequel passe quelque chose de cet art de la conversation où Valéry, brillant causeur, se montrait tour à tour profond et cocasse. Mais la fonction d’une biographie - c’est en tout cas ce que j’ai souhaité - peut être justement d’élargir le cercle de ces happy few en faisant découvrir au lecteur, çà et là, des fragments qui le familiarisent peu à peu avec une œuvre qu’il ne connaissait pas, ou mal.

«La vie de Valéry n’est pas seulement celle d’un écrivain. Entre les deux guerres, c’est aussi la vie d’un ambassadeur des lettres, d’un "passeur de culture" qui, dans le cadre de la Société des Nations, travaille au rapprochement des peuples européens en dépit de la montée des dictatures : il connaît Rilke et Thomas Mann, Galsworthy, Unamuno, Ungaretti… C’est un homme attentif aux arts, qui fréquente Degas et Monet, Honegger et Stravinsky, qui se passionne pour l’évolution des sciences et en discute avec Einstein, un analyste du monde moderne, familier de la classe politique, de Poincaré à Léon Blum. Cette extraordinaire ouverture d’intérêt fait que sa biographie est une contribution à l’histoire de son temps.

«Cette vie devait être racontée. Valéry en eût-il été contrarié ? Je ne suis pas sûr qu’il soit autant qu’on l’a dit un ennemi des biographies, et il a d’ailleurs lu avec passion la vieille Vie de M. Descartes du Père Baillet. Sa condamnation portait avant tout sur deux points : il détestait qu’on mette sous le regard de tous la part la plus secrète d’un être, et refusait qu’on explique une œuvre d’écrivain par sa personne ou par sa vie. J’ai essayé de lui être fidèle, mais sans pour autant le déshumaniser, et j’évoque par exemple l’émotion que met ce grand admirateur de Wagner à arracher un jour, en Suisse, un bout d’écorce du cerisier où on lui dit que le compositeur grimpait…

«On peut s’intéresser à un être d’exception de bien des manières, et parfois pour de mauvaises raisons. Quand j’ai commencé à lire Valéry, je faisais des études scientifiques, et je voyais en lui cet esprit de rigueur qui, précisément, se montrait aussi passionné pour les sciences que pour les lettres. J’en ai vite rabattu ; ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est son rôle de "contemporain capital", et l’inventivité d’une écriture dont la palette est extrêmement large, sans parler de sa correspondance : c’est un épistolier époustouflant, et souvent drôle, avec un sens unique de la trouvaille verbale.

«Ce que peut apporter Valéry aujourd’hui, c’est donc bien le plaisir du texte. Mais c’est également autre chose, vers quoi il nous guide lui-même lorsqu’il écrit que Nietzsche est pour lui un "excitant" plus qu’un "aliment". Valéry est les deux. Il suffit d’ouvrir au hasard un de ses livres pour voir que sa pensée nourrit, parce que c’est toujours une pensée personnelle, atypique, inattendue. Et c’est pourquoi en même temps elle excite : elle excite à penser par soi-même, contre ce qu’on vient de lire ou d’entendre, et contre la "pensée unique", ce qui aujourd’hui n’est tout de même pas si mal. Fabrice Luchini l’a d’ailleurs magnifiquement compris en montant un spectacle autour de fragments de son œuvre. Un spectacle où l’excitation de l’esprit tourne souvent au rire : preuve que Valéry n’est pas un auteur ennuyeux.»



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