Les gays ont trouvé la parade à São Paulo
Soutenus par un Etat décidé à lutter contre une homophobie très présente, les homosexuels brésiliens sont moins ostracisés et voient leurs droits progresser.
De notre correspondante à São Paulo
CHANTAL RAYES
QUOTIDIEN : samedi 24 mai 2008
Adriana n’en pouvait plus de se faire traiter de «gouine» par son voisin. «Au début, il nous draguait, ma compagne et moi, mais quand il a appris qu’on était ensemble, il s’est mis à nous insulter et nous sommes devenues la risée de tout le quartier», raconte la jeune femme. Adriana a dénoncé son voisin au Centre de lutte contre l’homophobie installé à la mairie de São Paulo. «Pour lui donner une leçon et permettre aux générations futures de vivre en paix», dit-elle. Le centre a ouvert ses portes il y a deux ans, dans le cadre du programme «Brésil sans homophobie», lancé par le président Lula en 2005. Son coordinateur, Cassio Rodrigues, raconte : «En 2006, nous avons reçu 95 plaintes, l’an dernier plus de 300. Cela ne veut pas dire que l’homophobie s’aggrave, mais que ses victimes savent qu’il y a désormais un lieu où elles peuvent la dénoncer.»
Au Brésil, l’homosexualité n’a jamais été considérée comme un crime par la loi, la sodomie ne l’est plus depuis au moins un siècle, mais les préjugés et la haine persistent contre la population dite «LGBT»(lesbiennes, gays, bis, travestis et transsexuels). Plus de la moitié des personnes interrogées lors d’une enquête réalisée en 2006 disent avoir été victimes d’agressions verbales ou menacées d’agression physique en raison de leur orientation sexuelle. Moins fréquente, la violence physique vise surtout les transsexuels et les travestis et peut aller jusqu’à des meurtres «d’une cruauté extrême, note Cassio Rodrigues. Un seul coup de feu ne suffit pas, il en faut dix». «Outre ces crimes dits "de haine", il y a aussi une grande discrimination, poursuit-il. Nous avons des cas d’homosexuels qui ont été "invités" à quitter un établissement parce qu’ils s’embrassaient, d’autres qui ont perdu leur emploi à cause de leur orientation sexuelle ou qui sont à la rue parce que personne ne veut leur louer un appartement.»
«Rendre visible». Le centre tente d’abord une médiation entre les parties mais recourt, en cas d’échec, à une loi locale, en vigueur depuis 2001 dans l’Etat de São Paulo, et qui punit de sanctions administratives la discrimination. 46 centres similaires ont été créés à travers le Brésil. L’ambitieux programme de Lula prévoit aussi d’autres mesures, comme la formation de la police, souvent accusée d’homophobie. Une avancée parmi celles enregistrées dernièrement par les LGBT. A deux reprises, la justice a autorisé des couples homosexuels à adopter conjointement un enfant, et garanti le droit à l’héritage ou à une pension après le décès du concubin. Sergio Carrara, coordinateur du Centre latino-américain de sexualité et de droits, attribue ces acquis à l’activisme du mouvement LGBT, qui «a adopté une stratégie d’une grande intelligence politique : rendre "visible" l’homosexualité, longtemps occultée de l’espace public brésilien». «Des parades gays se tiennent dans plus de deux cents villes brésiliennes et sont aujourd’hui le principal mouvement de masse du pays», poursuit le chercheur. La parade de São Paulo, qui aura lieu dimanche, est la plus importante au monde : l’an dernier, elle a rassemblé 3,5 millions de participants . «Beaucoup y vont juste pour la fête, admet Alexandre Santos, qui dirige l’association organisatrice, mais beaucoup d’autres sont présents pour revendiquer leurs droits.»
Reality show. Pour Sergio Carrara, la société elle-même commence à évoluer. Le baromètre, c’est la télé, à la fois reflet et moteur de cette évolution. TV Globo, première chaîne du pays, met régulièrement en scène des personnages gays dans ses fameuses novelas (feuilletons) et «leur représentation n’est plus aussi stéréotypée qu’auparavant». Afin de garantir l’audience, c’est le public lui-même qui décide du cours de la novela par le biais de sondages. Le feuilleton diffusé actuellement, Duas Caras, doit s’achever, pour la première fois dans une telenovela, sur un mariage gay, signe que «l’opinion est désormais prête à accepter un happy end entre deux personnes de même sexe», poursuit Sergio Carrara. Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années quand il a fallu «tuer» les héroïnes du feuilleton Torre de Babel, qui vivaient trop bien leur homosexualité… Autre signe : c’est un gay qui, en 2005, est sorti gagnant du reality show de TV Globo, élu en direct par des millions de téléspectateurs.
Ces avancées braquent le camp conservateur au Parlement. Les députés chrétiens, catholiques et évangéliques bloquent l’approbation d’un projet de loi criminalisant l’homophobie et d’un autre qui légalise l’union civile entre personnes de même sexe. Ces deux textes sont parmi les principales revendications du mouvement LGBT. Il reste également beaucoup à faire pour les travestis et les transsexuels, principales victimes de la discrimination. Un arrêté ministériel de 2006 oblige le personnel des hôpitaux publics à les appeler par le nom de leur choix (et non celui de l’état civil), un acquis. Mais ils sont souvent poussés à quitter collèges et lycées, les lieux les plus homophobes selon les études, et restent exclus du marché du travail. «Pour survivre, nous n’avons d’autre choix que de nous prostituer», lâche Raquel, une transsexuelle qui fait le trottoir dans le centre de São Paulo.
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