domingo, 25 de maio de 2008


La condition humaine



LE MONDE




Jamais ce que Pierre Teilhard de Chardin nommait "la température psychique de la Terre" n'a été aussi élevée. Avec le développement du cyberespace, des réseaux, de la téléphonie mobile, le monde est devenu en quelques années un gigantesque océan tourmenté, envahi non plus seulement d'énergie et de matière, mais, la numérisation aidant, d'informations. De savoirs, de connaissances.




Des informations, il y en a de toutes formes et de toutes sortes, brutes ou dégrossies, surexposées ou juste entreposées. Chacune a ses atomes propres : les bits. Chacune a sa possibilité d'extension moléculaire : l'hypertexte, qui permet à la mémoire de chacun de devenir la mémoire de tous. Pas un élément du réel qui ne puisse être désormais encodé, stocké, manipulé, expédié. Et pour ainsi dire, dans le même temps : "virtualisé". Voici advenu le règne de l'" hyper-information".

Dans Homo sapiens 2.0 (éd. Max Milo, 288 p., 25 €), Gérard Ayache, spécialiste de la communication, tire des conséquences anthropologiques de ce mouvement lancé jadis (sur un tout autre rythme) par l'imprimerie. L'homme, qui vit de plus en plus dans l'instant (un instant mondialisé), changerait également dans son corps : "augmenté" ou "complété" qu'il est désormais par les outils technologiques que sont téléphones et ordinateurs, dont il ne peut se séparer.

Commandée par la société Nortel, une étude aurait récemment mis au jour un plus grand attachement des salariés à leur portable (tout au moins une plus grande attention portée à l'objet)... qu'à leur porte-monnaie, lorsqu'ils sont appelés à partir en déplacement. L'enquête a conclu que 16 % de 2 400 salariés interrogés dans 17 pays, qualifiés d'"hyperconnectés", utilisaient quotidiennement sept appareils différents, professionnels ou personnels, et neuf applications distinctes, telles que messageries instantanées, boîtes électroniques, Webconférences, etc. La proportion, selon l'étude, pourrait monter à 40 % dans cinq ans.

Cette multiplication des hyperconnectés s'opère alors que l'universalité et la diversité des savoirs disponibles aujourd'hui à travers les flux informationnels induit une collectivisation de la connaissance. Un brassage permanent d'idées, de valeurs, de cultures. Un magma informel en perpétuelle extension sur lequel chacun peut se brancher (encore qu'il y ait une frange importante d'exclus aussi sur ce terrain-là). Qui s'accompagne d'une sursaturation émotionnelle et, par mimétisme, d'une multiplication des stéréotypes. L'hyper-information modifie le rapport de l'individu au réel (à sa représentation), au pouvoir, à l'information, dont il n'est plus seulement le récepteur, mais un "interacteur" opérant dans la complexité, sur un territoire allant de l'univers aux méandres du cerveau humain. Résultat : "Les individus transhument d'un espace à l'autre, observe Gérard Ayache, forgeant leur conscience des choses sur un ensemble d'hypothèses, de probabilités et de valeurs, et plus seulement sur une sélection d'informations diffusées par ceux qui avaient le privilège de leur détention."

Certains s'en inquiètent. Des scientifiques, des enseignants, les médias. "A quoi sert un journaliste ?", s'interrogeait ainsi la profession aux cours des deuxièmes Assises du journalisme, organisées à Lille du 21 au 23 mai. "N'ayez pas peur !, confrères, rassure le président du groupe Bayard, Bruno Frappat. Tant qu'il y aura des nouvelles, il faudra des gens pour faire le tri, hiérarchiser les "événements", en jeter. Autrement dit, pour penser l'actualité (...). Il faut parier sur le journalisme durable." Nécessairement adapté à la nouvelle condition humaine. C'est-à-dire qui ne réduise pas, mais ouvre au contraire à la complexité, à la multiplicité des possibles et des interprétations.

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