Quand il a poussé pour la première fois la porte de Dante’s, accompagné de sa copine, Tre n’en est pas revenu. « On s’est retrouvé à manger une pizza, entourés d’écrans qui passaient du porno avec des nains », éclate-t-il de rire. « C’est comme ça, ici. Il y a toujours cet effet de surprise. » Bienvenue à Portland… Tre, pur produit des ghettos de L. A., chanteur du légendaire groupe de hip-hop Pharcyde, a débarqué il y a trois ans et poursuit depuis l’exploration de sa ville adoptive avec jubilation. Il s’est vite fondu dans cette macro-bourgade forestière de 600 000 habitants du nord de l’Oregon, réputée comme étant la région la plus arty-alternative-écolo-cool des États-Unis. Il rigole derrière son keffieh bleu ciel ce rappeur authentique et atypique, professeur de taekwondo et thérapeute Reiki. Et reconnaît qu’il est « juste bizarre ».
Être bizarre, « weird », ou du moins attiré par ce qui l’est, c’est la condition pour comprendre la ville qui aurait pu se contenter d’être l’une de ces mornes perles du Northwest américain aux maisonnettes de bois tout droit sorties de Twilight. Mais Portland a préféré combattre la morosité de ses cent soixante jours de pluie par an en enfantant Gus Van Sant, The Gossip, le groupe de hardcore mythique Poison Idea, la clique des skaters-squatteurs de Burnside Skatepark ou encore la stripteaseuse punk Malice. C’est aussi l’éden des cyclistes – parfois naturistes – des végétaliens, des lesbiennes, des artistes ou des zélateurs du système coopératif. En somme, le San Francisco d’avant le raz-de- marée yuppie.
 

 
Assumant ce statut, la ville ne s’excuse de rien : sur le pare-chocs des voitures et même sur un mur entier de downtown, on peut lire « Keep Portland Weird » (Gardons Portland bizarre). Ce décalage savamment entretenu intervient dans un cadre semi-urbain où la nature n’a jamais vraiment perdu tous ses droits, où les feux rouges, un rien villageois, pendouillent depuis des câbles tendus au milieu des intersections des quartiers paisiblement pointus de Hawthorne, NE Alberta ou Belmont. Le tout clapotant dans une ambiance de pluie et de ciel bas qui a forcément contribué à ce que Gus Van Sant – Portlandais depuis plus de vingt ans, le réalisateur tourna sur place Drugstore Cowboy, Elephant et Paranoid Park – ne soit pas exactement devenu le nouveau Max Pécas.